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L'importance du prénom : implications psychologiques et historiques

Le choix du prénom a des implications psychologiques profondes pour l'individu. Jean-Pierre Winter explore aussi comment la nomination de l'Amérique par Amerigo Vespucci plutôt que Christophe Colomb a façonné l'histoire. Un éclairage passionnant dans "L'inconscient" sur @franceinter.


Le psychanalyste et écrivain Jean-Pierre Winter était l'invité de l'émission "L'inconscient" sur France Inter dimanche 4 février. Au cours de cette émission passionnante, il a exploré les implications psychologiques du choix du prénom et du nom, à partir d'exemples tirés de sa pratique clinique, des réflexions de Freud et d'une analyse historique de la dénomination de l'Amérique.

Selon Jean-Pierre Winter, le prénom est indissociablement lié à l'histoire individuelle de chacun. Dès le berceau, le bébé entend son prénom prononcé sur différents tons, l'associant à des sensations agréables d'amour ou au contraire désagréables selon le contexte affectif. Le prénom favorise le développement des potentialités de l'enfant. Un prénom mal vécu peut affecter la confiance en soi, comme "un vêtement étriqué qui dévalorise". Même à l'âge adulte, un changement de prénom aura une incidence sur le comportement futur.

Pour illustrer son propos, Jean-Pierre Winter rapporte le cas clinique d'un enfant adopté à 11 mois, Armand, dont le prénom a été changé en Frédéric. Souffrant de symptômes d'allure psychotique, l'enfant dessinait compulsivement la lettre "A". La psychanalyste Françoise Dolto a eu l'intuition qu'il pâtissait inconsciemment de ce changement de prénom. En l'interpellant "Armand" sur différents tons, elle a permis à l'enfant de renouer avec son histoire précoce et son identité, résolvant ses difficultés. Pour Dolto, on ne peut changer sans risque le prénom d'un enfant, l'image inconsciente du corps étant nouée au nom.

Jean-Pierre Winter souligne que dans l'inconscient, les noms occupent une place centrale. Quand "ça sonne juste", une évidence s'impose : prénom et corps semblent en harmonie. A l'inverse, une discordance s'exprime parfois par une inhibition, une angoisse ou des symptômes. Winter suggère que le désir actuel de certains adolescents de "changer de corps" traduit en fait un désir de changer de nom, une difficulté à faire coïncider corps et prénom.

L'auteur élargit ensuite sa réflexion aux enjeux collectifs de la nomination, en prenant l'exemple de la dénomination de l'Amérique. Pourquoi le "Nouveau Monde" découvert par Christophe Colomb porte-t-il le nom d'Amerigo Vespucci, navigateur italien qui explora le continent après lui ? Winter relate qu'un groupe d'érudits vosgiens, s'appuyant sur le récit de voyage de Vespucci, a attribué son prénom au continent, suscitant une controverse qui dure depuis 5 siècles.

Car si Colomb fut le premier à fouler le sol américain, c'est Vespucci qui sut donner un sens à cette découverte bouleversant les savoirs géographiques de l'époque. Dans son récit, il décrit ce "Mundus Novus" avec un émerveillement contagieux, évoquant un véritable paradis terrestre. Colomb, lui, est resté prisonnier de ses références, pensant avoir atteint les Indes. Vespucci a su interpréter la portée de cet exploit, rendant manifeste ce que Colomb avait découvert "comme dans un état de somnambulisme".

Pourtant, Colomb et Vespucci étaient amis. Comme Freud et Breuer, pionniers de la psychanalyse, ils partageaient une fraternité d'émigrés italiens en terre ibérique. Freud s'est d'ailleurs identifié à Christophe Colomb, comparant la découverte de l'inconscient à celle d'un "Nouveau Monde". Mais paradoxalement, Freud était phobique des voyages et de l'Amérique... Phobie de l'objet du désir de celui à qui il s'identifiait.

En conclusion, Jean-Pierre Winter souligne qu'une découverte tient autant à la valeur de celui qui la réalise qu'à celle de celui qui en saisit la signification. Les Américains sont un peuple "sans nom", leur pays ne portant pas celui de Colomb. Seule l'Histoire dira si c'est une aubaine ou une tragédie...

Au fil des questions des auditeurs, le psychanalyste approfondit sa réflexion. Il analyse le cas d'une femme prénommée Yannick qui s'interroge sur l'incidence d'un prénom apparemment masculin. Pour Winter, seule cette femme peut élaborer le sens de ce choix parental en associant librement. Il explique aussi à un homme prénommé Gabriel, qui a obtenu de changer son prénom détesté de Frédéric, que ce conflit sur le prénom initial reflétait sans doute un désaccord parental à son sujet.

Enfin, à une mère dont la fille Sarah veut se faire appeler Samuel "en mode garçon", il suggère que ce changement de prénom exprime la complexité du rapport au genre, une rupture avec la lignée générationnelle. Le nom condense des enjeux identitaires et relationnels majeurs.

En définitive, cette émission passionnante éclaire les ressorts intimes et les résonances sociales de cet acte fondateur qu'est la nomination d'un enfant. Loin d'être anodin, le choix du prénom engage l'avenir du sujet et son inscription dans l'ordre symbolique. Un éclairage précieux à l'heure où la "crise des identités" s'exprime aussi par un questionnement des prénoms.

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