La perte d'un être cher, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un parent ou d'une fausse-couche, est une épreuve dévastatrice qui ébranle les fondations mêmes de l'existence. Au cœur de cette tourmente, le couple se retrouve confronté à une douloureuse réalité : chacun vit le deuil à sa manière, avec ses propres mécanismes de défense et réactions émotionnelles. Cette différence peut créer un fossé d'incompréhension et de solitude, mettant à mal l'équilibre de la relation.
La psychanalyse nous éclaire sur les processus psychiques à l'œuvre dans le deuil. Selon Freud, le travail de deuil consiste à se détacher progressivement de l'objet perdu, en retirant peu à peu la libido investie dans cet objet. C'est un cheminement long et douloureux, ponctué d'étapes : le choc initial, le déni, la colère, la culpabilité, la dépression, et enfin l'acceptation. Chacun avance à son rythme dans ce labyrinthe émotionnel, avec des allers-retours et des moments de stagnation.
Au sein du couple, cette différence de tempo peut susciter frustration et ressentiment. L'un peut avoir besoin de parler sans cesse de la personne disparue, quand l'autre préfère se murer dans le silence. L'un peut se réfugier dans l'hyperactivité, pendant que l'autre s'effondre dans l'abattement. Ces réactions divergentes, loin d'être le signe d'un amour insuffisant, traduisent la singularité de chaque histoire et de chaque personnalité.
Pour Mélanie Klein, le deuil réactive des angoisses archaïques liées aux premiers stades du développement psychique. La perte ravive la peur de perdre l'objet d'amour, et avec lui une partie de soi. Cette menace d'anéantissement peut pousser à ériger des défenses rigides : déni de la réalité, clivage des affects, projection de la souffrance sur l'autre. Au sein du couple, ces mécanismes inconscients peuvent nourrir malentendus et conflits.
Winnicott souligne l'importance d'un environnement "suffisamment bon" pour traverser les épreuves de l'existence. Le couple a justement ce potentiel d'étayage mutuel, à condition de préserver un dialogue authentique. Mettre des mots sur ses ressentis, accueillir ceux de l'autre dans sa différence, est un défi de tous les instants. Il s'agit d'ouvrir un espace où la parole peut advenir, sans jugement ni injonction.
Le soutien peut aussi passer par des gestes simples, une présence silencieuse mais bienveillante. Respecter le besoin de solitude de l'autre, tout en lui signifiant qu'on est là, disponible. Partager des moments de vie quotidienne, des souvenirs, pour raviver le lien à ce qui est vivant. Accepter que le chagrin prenne la place qu'il doit prendre, sans chercher à le minimiser ni à l'exacerber.
Dans cet accompagnement mutuel, chacun est renvoyé à ses propres failles et à son histoire familiale. Le deuil peut faire resurgir des blessures anciennes, des deuils passés mal résolus. Être attentif à ces échos intimes permet de mieux comprendre ses réactions et celles de l'autre. C'est l'occasion d'approfondir la connaissance de soi et de son partenaire, pour renforcer l'alliance face à l'adversité.
Parfois, les mots manquent et la souffrance semble infranchissable. Il est alors précieux de pouvoir s'appuyer sur une aide extérieure : famille, amis, groupes de parole, et si besoin psychothérapie. Accepter d'être soutenu pour mieux soutenir l'autre, et inversement. Le deuil est une épreuve initiatique qui peut souder le couple dans une nouvelle maturité, si le lien est suffisamment investi.
Au fil du temps, le travail de deuil permet de réaménager son monde interne et relationnel. L'être perdu n'est pas oublié, mais trouve progressivement une nouvelle place, à l'intérieur de soi. Son absence dessine en creux de nouveaux possibles, une créativité renouvelée. Ensemble, le couple peut réinventer un avenir et renouer avec l'élan vital, sans renier la part d'ombre qui les habite désormais.
Le deuil est un chemin de résilience, à la fois personnel et relationnel. En osant la vulnérabilité, le couple peut transformer l'épreuve en une occasion de croissance, et même de renaissance. Car c'est dans le partage authentique des émotions, dans l'accueil inconditionnel de l'autre, que se tissent les liens les plus précieux, ceux qui défient le temps et la mort.
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