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Trump et le clivage : Une polarisation collective comme reflet d’un psychisme divisé

Trump exploite le clivage, polarisant la société en "bons" vs "méchants". Son discours manichéen étouffe la nuance, reflétant un psychisme divisé. Dépasser cette fracture nécessite d’accepter l’ambivalence et restaurer le dialogue. #Psychanalyse #Politique

Le clivage, un mécanisme de défense au cœur des tensions sociales

En psychanalyse, le concept de clivage (splitting), développé par Mélanie Klein, désigne un mécanisme de défense archaïque par lequel le psychisme fragmente sa perception du monde en catégories radicalement opposées : le « tout bon » et le « tout mauvais ». Ce processus, typique des phases précoces du développement infantile, permet de gérer l’angoisse liée à l’ambivalence — l’incapacité à tolérer la coexistence de sentiments contradictoires envers un même objet. Appliqué à l’échelle collective, ce mécanisme éclaire des phénomènes sociopolitiques marquants, notamment la polarisation exacerbée sous l’ère Trump. Son discours, son style communicationnel et son impact sur le débat public révèlent une dynamique de clivage qui a profondément divisé le corps social, reflétant une fragmentation du psychisme à l’échelle nationale.

Trump et la rhétorique du clivage : « Nous » contre « Eux »

La communication de Donald Trump s’appuie sur une logique manichéenne, structurée autour d’oppositions binaires excluant toute nuance. Ses slogans (« Drain the Swamp », « Make America Great Again ») et ses attaques ad hominem (« fake news », « ennemis du peuple ») fonctionnent comme des opérateurs de clivage, divisant systématiquement le monde entre alliés et ennemis, gagnants et perdants, patriotes et traîtres. Cette rhétorique repose sur une simplification radicale de la réalité, évacuant les ambiguïtés pour mobiliser les affects primaires (colère, peur, admiration) et cristalliser l’adhésion autour d’une figure perçue comme « toute-puissante » (le leader sauveur) face à un « autre » diabolisé (médias, élites, immigrés, etc.).

Klein soulignait que le clivage protège temporairement le moi de la confrontation à des réalités conflictuelles. Dans le cas de Trump, cette stratégie a offert à une partie de l’électorat une réponse à l’angoisse socio-économique et identitaire : en externalisant la source des problèmes (les « méchants » à abattre), elle a créé un sentiment de cohésion illusoire, fondé sur le rejet commun d’un bouc émissaire.

L’impact sur le discours politique : La fin de la nuance

Le clivage, en s’imposant comme norme discursive, a transformé le paysage politique en un champ de bataille où le compromis devient une trahison. Les oppositions partisanes se sont muées en guerres identitaires, où chaque camp se perçoit comme détenteur de la vérité absolue et l’adversaire comme une menace existentielle. Ce phénomène dépasse les clivages traditionnels : il s’agit d’une délégitimation de l’autre, rendant tout dialogue impossible.

Les réseaux sociaux, amplificateurs de ces dynamiques, ont exacerbé cette polarisation en algorithmisant la diffusion des contenus les plus extrêmes. Les « bulles informationnelles » renforcent le clivage en éliminant les perspectives modérées, nourrissant une paranoïa collective où l’autre camp est perçu non comme un contradicteur, mais comme un ennemi à éradiquer.

Le social comme miroir du psychisme divisé : Crispations identitaires et perte du tiers

La polarisation collective sous Trump peut être lue comme une projection à grande échelle du clivage individuel. Une société clivée reflète une incapacité à intégrer les contradictions inhérentes à la démocratie : pluralité des opinions, coexistence des différences, nécessité du débat. En psychanalyse, la santé mentale suppose de dépasser la position schizo-paranoïde (clivage) pour accéder à la position dépressive (Klein), où l’on accepte que le monde et ses acteurs soient à la fois bons et mauvais, complexes et imparfaits.

Or, le trumpisme a institutionnalisé une régression vers la position schizo-paranoïde, où le tiers médiateur (presse, institutions neutres, expertise) est discrédité. Sans ce tiers, le social bascule dans un dualisme stérile, où la violence symbolique et la défiance remplacent le dialogue.

Vers une réintégration du paradoxe ?

L’héritage le plus durable de Trump réside peut-être dans la normalisation du clivage comme mode de gouvernance et de communication. Pour dépasser cette polarisation, il faudrait réhabiliter la capacité collective à tolérer l’ambivalence — reconnaître que l’on peut critiquer son pays tout en l’aimant, ou débattre sans anéantir l’autre.

En termes kleiniens, cela suppose un travail de « réparation » symbolique : passer de la logique du bouc émissaire à celle de la responsabilité partagée, et remplacer la haine par le deuil des illusions de pureté politique. Un défi immense, mais nécessaire pour que le psychisme social, aujourd’hui fracturé, retrouve une unité non pas homogène, mais dialectique.

Références évoquées :

  • Klein, M. (1946). Notes sur quelques mécanismes schizoïdes.
  • Études sur la polarisation politique et l’impact des réseaux sociaux (ex. : Cass Sunstein, #Republic).
  • Analyses psychopolitiques du phénomène Trump (ex. : Didier Fassin, Pouvoir de la menace).

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