Donald Trump, figure polarisante de la politique moderne, incarne une relation complexe à l’autorité, à la loi et à la figure du père. En s’appuyant sur les théories freudiennes et lacaniennes, cet article explore comment sa posture publique et son imaginaire personnel renversent les mécanismes traditionnels de l’Œdipe, proposant une « inversion » symbolique où le père refuse de céder sa place au profit d’un conflit permanent avec la Loi.
L’Œdipe freudien et la fonction du père symbolique
Pour Freud, le complexe d’Œdipe structure l’accès du sujet à l’ordre symbolique. L’enfant, en renonçant à la mère sous la menace de castration symbolique du père, intègre la Loi et les limites sociales. Lacan approfondit cette idée avec le Nom-du-Père : le père incarne l’autorité qui permet l’inscription du sujet dans le langage et la culture. La figure paternelle n’est pas seulement biologique ; elle est un opérateur psychique qui limite les désirs pour permettre la socialisation.
Trump et le refus du Nom-du-Père
Trump semble défier cette logique. Plutôt que de s’inscrire dans un rôle de médiateur de la Loi, il se présente comme un père primal, contestant toute autorité supérieure. Son discours – « Drain the Swamp », « I alone can fix it » – évoque un fantasme de toute-puissance, niant la légitimité des institutions (médias, justice, opposition) qu’il qualifie de « fake » ou « corruptes ». Cette posture inverse l’Œdipe : au lieu d’intérioriser la Loi, Trump la projette comme un ennemi à abattre, se positionnant lui-même comme l’ultime référence.
Ses attaques répétées contre les figures d’autorité (juges, anciens présidents, conseillers) révèlent une rivalité symbolique permanente. Pour Lacan, le père symbolique doit « disparaître » pour que la Loi existe ; Trump, lui, s’affiche comme un père toujours présent, saturant l’espace médiatique pour empêcher l’émergence d’un tiers symbolique.
Le père réel et l’imaginaire trumpien
Le rapport de Trump à son père réel, Fred Trump, offre un éclairage crucial. Biographes et psychologues soulignent une relation marquée par la pression à réussir et une admiration mêlée de crainte. Fred Trump, promoteur immobilier autoritaire, inculqua à son fils une vision du monde où la force prime sur le consensus. Donald Trump internalisa cette figure non comme un Nom-du-Père limitant, mais comme un modèle à imiter et dépasser.
Cette dynamique explique peut-être son rejet des normes : pour exister face au père réel, il doit incarner une hyper-puissance, niant toute limite. Lacan parlerait d’un déni du manque : Trump construit un fantasme de complétude (« Make America Great Again ») pour éviter la confrontation avec la castration symbolique.
La Loi comme rival à détruire
Dans la psychanalyse, la Loi permet de structurer le désir. Trump, en revanche, traite la Loi comme un obstacle à contourner (procédures judiciaires, impeachment) ou à instrumentaliser (décrets présidentiels). Son rapport au langage est également révélateur : il utilise un discours direct, répétitif, évacuant la nuance pour imposer sa réalité (« Truthful hyperbole »). Cette stratégie déstabilise le Symbolique, remplaçant les référents partagés par un récit personnel.
En Lacanien, Trump incarne le passage à l’acte permanent : il refuse le temps de la réflexion, de la médiation, préférant un agir immédiat (tweets, décisions impulsives) qui court-circuite l’ordre établi.
Implications collectives : une société sans père ?
L’adhésion à Trump révèle une fascination pour une figure paternelle qui promet de protéger du chaos tout en l’amplifiant. Son électorat, souvent décrit comme cherchant un « sauveur », pourrait refléter un désir inconscient de restaurer un père idéalisé, capable de suspendre les incertitudes de la modernité.
Cependant, cette dynamique menace le contrat social : si la Loi est réduite à un rapport de force, le dialogue démocratique s’efface. Lacan avertissait qu’un rejet du Symbolique mène à la psychose ; à l’échelle collective, cela pourrait nourrir un populisme autoritaire.
Trump incarne un « Œdipe inversé » où la figure paternelle, au lieu de transmettre la Loi, la défie pour s’ériger en seule autorité. Cette configuration questionne les fondements psychiques du pouvoir : peut-on construire un ordre social sans reconnaissance d’un tiers symbolique ? L’ère post-Trump oblige à repenser comment les figures d’autorité peuvent à la fois incarner et transcender leur rôle pour éviter la tyrannie du fantasme.